Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le rit de Nidaros

… sans jamais oser le demander.

Saint Olaf
Le roi saint Olaf, patron de la Norvège

– Nota : cet article, publié originellement sur Facebook, est une réponse à un pari avec une amie –

La province ecclésiastique de Nidaros fut l’une des plus étendues de la Chrétienté : outre la Norvège, sa juridiction comprenait d’anciennes colonies norvégiennes, savoir les Orcades, l’Ile de Man, l’Islande, le Groënland et les îles Feroe.

Nidaros est le nom ancien de l’actuelle ville de Trondheim en Norvège.

Alors que le Danemark et la Suède, déjà chrétiens, n’avaient étrangement pas cherché à évangéliser la Norvège, celle-ci reçut la foi par son roi Olaf Tryggvason († 1002), qui était revenu d’Angleterre pour prendre possession de son royaume en 994, amenant avec lui l’évêque Sigurd et plusieurs prêtres. Le succès de leur apostolat fut tel qu’en 4 ans tout le pays fut converti. Le roi établi sa résidence à Nidaros, où il érigea la première église (dédiée à saint Clément), devenue cathédrale, et qui devait abriter les fameuses reliques de saint Olaf Haraldsson (1015†1030), l’un des successeurs d’Olaf Tryggvason , qui devint patron du pays (fête principale le 29 juillet).

La province ecclésiastique de Nidaros fut érigée en 1152 par le Pape Eugène III et comporta onze évéchés :
Norvège : Nidaros, Bergen, Stavanger, Oslo, Hamar
Islande : Skalholt, Holar
Groenland : Gardar
Iles Feroe : Kirkebo en Straumo
Orades : Kirkwall
Sodors & Man : Saint-Germans.

Ayant reçu la foi de l’Angleterre, les liens ecclésiastiques entre ce pays et la Norvège furent très forts : les premiers évêques de Norvège furent sacrés en Angleterre, de nombreux prêtres & moines avaient été formés dans ce pays, même le vin de messe venait d’Albion ! A partir de l’épiscopat de l’archevêque Eric Ivarsson (1188 † 1205), qui avait fait ses études à l’abbaye de Saint-Victor de Paris, les liens avec la France et les Flandres devinrent aussi importants.

On comprend dès lors que le rit de Nidaros dépend étroitement des rits en usage dans les Iles britanniques (principalement Sarum et York, également les usages celtiques d’Irlande (points de contacts avec le Missel de Stowe)) mais aussi des rits français (Normandie et Paris), et dans une moindre mesure, de certains usages allemand (la métropole de Brême englobait toute la Scandinavie initialement). Les anciens rits de Suède et de Danemark suivent d’avantage l’usage germanique.

Comme dans tout le territoire de l’ancien empire de Charlemagne, il s’agit donc à la base du rit romain dans sa structure essentielle (c’est-à-dire l’ordonnance générale de la messe et le texte du canon), avec les variantes locales dues principalement à l’enrichissement eucologique qui s’est pratiqué dans l’Occident au IXème-Xème siècles pour certaines parties de la messe, soit les prières avant l’introït, les prières de l’offertoire, celle avant et après la communion. Ces prières, pour l’essentiel, sont dites à voix basses par le célébrant, et changent considérablement d’un rit à un autre.

La connaissance de ce rit norvégien est difficile, car la réforme protestante lui a été fatale : on ne possède plus que 4 manuscrits médiévaux, et pour l’édition imprimée en 1519 tant du Missel de Nidaros que du Bréviaire (édités le premier à Copenhague, l’autre à Paris), qu’un unique exemplaire chacun. Par chance, le Missel a été imprimé avec la musique du graduel. A noter que le Missel imprimé ne comporte que très peu de rubriques.

Globalement, on peut estimer que le rit de Nidaros avant sa suppression était resté assez pur et proche de son premier établissement. On notera en particulier qu’il est resté fermé aux excroissances de la dévotion liturgique qui ont surchargé certains rits ailleurs en Europe au XVème siècle.

Le rit de Nidaros ne survécut cependant pas à la réforme protestante. En 1536, après une horrible guerre civile qui avait démarré en 1528, l’archevêque Olaf fut contraint de fuir vers les Pays-Bas & tout l’épiscopat fut emprisonné, sauf l’évêque renégat d’Oslo qui avait apostasié (mais il n’y eut pas de succession apostolique ultérieure). En 1537, le roi de Danemark imposa autoritairement le luthéranisme. Comme en Allemagne ou en Angleterre, la noblesse embrassa vite le protestantisme, trop heureuse de confisquer les biens de l’Eglise au passage. Dans les campagnes, on laissa le plus souvent les vieux prêtres dire la messe, mais à leur décès, ils étaient remplacés par des pasteurs.

Hors de la Norvège, l’Eglise de Nidaros subit également de durs coups à cette époque. Au Groenland toutefois, qui était coupé de toutes communications avec la Scandinavie depuis environ 1410, le clergé avait déjà disparu vers 1392. Comme seul souvenir de la religion chrétienne, les habitants avaient conservé le corporal sur lequel le dernier prêtre avait consacré le Corps du Seigneur à la dernière messe et en faisaient une ostension annuelle. Le Protestantisme fut introduit dans les autres diocèses de la province par diverses voies au cours du XVIème siècle. Le rit de Nidaros avait cessé d’être.

* LA MESSE DANS LE RIT DE NIDAROS

1. Prières préparatoires :
– Oraison pour obtenir le don des larmes
– Veni Creator
– Plusieurs psaumes
– Ave Maria
– Kyrie eleison
– Pater
– Versets & oraisons
– Prières pour chaque vêtement sacerdotal (assez différentes du romain actuel)

2. Prières en allant à l’autel :
– Judica me
– Kyrie eleison
– Pater
– Introibo ad altare Dei
– Oraison Educ me, Domine, in via tua
– Verset Confitemini Domino (cf. rit Dominicain)
– Confiteor (plusieurs formules, toutes différentes du Romain)
– Misereatur (texte différent)
– Indulgentiam et remissionem omnium peccatorum nostrorum…
– Versets pour l’encensement de l’autel
– Aufer a nobis
– Versets Adjutorium nostrum & Sit nomen Domini
– Benedicite Deus
– In nomine Patris, …

3. Messe des catéchumènes
– Introït
– Kyrie
– Gloria (avec des tropes pour la Sainte Vierge, le dimanche et le Saint-Esprit)
– Epitre
– Graduel (chanté par 4 ou 2 chantres dit Gradalarii)
– Alleluia (chanté par 6 ou 4 chantres Gradalarii)
– Proses fréquentes mais qui devaient présenter un caractère facultatif, car elles sont toujours dans un supplément en fin de missel
– Dominus sit in corde tuo et réponse du diacre : Da mihi, Domine, sermonem rectum & benesonantes in os meum…
– Evangile
– Per istos sermones sancti evangelii pacis…
– Pour le baiser du livre des évangiles par le chœur : Pax Christi, quam nobis per evangelium suum…
– sermon

4. Messe des fidèles – offertoire
– Credo
(les oblats sont préparés au préalable entre l’épître & l’évangile)
– Offertoire
– Sanctifica, quæsumus, Domine, hanc oblationem…
– Suscipe sancta Trinitas (différent du Romain)
– Acceptum sit omnipotenti Deo sacrificium nostrum…
– Veni sanctificator (presque identique au Romain)
– Bénédiction de l’encens (différente du Romain) puis encensement
– Lavabo
– In spiritu humilitatis
– Orate pro me fratres et sorores… (sans réponse)

5. Messe des fidèles – canon
– Deux préfaces pour les Apôtres
– Canon quasiment identique au canon romain, idem pour la suite jusqu’à la formule de commixition légèrement différente.
– Baiser de paix très développé : Pax Christi et Sancte matris ecclesiæ abundet semper in cordibus vestris, per Spiritum Sanctum qui datus est nobis. Puis : ℣. Pax tecum. ℟. Et cum spiritu tuo. Puis : Habete vinculum pacis et caritatis ut apti sitis misteriis sacrosanctis…

6. Messe des fidèles – communion
– Domine sancte Pater omnipotens… (cf. Rit de Sarum)
– Domine Jesu Christi Fili Dei vivi…
– Communion du prêtre assez identique au Romain
– Prières de l’ablution identiques mais dans l’ordre inverse du Romain
– Lavement des mains avec Nunc dimittis
– Communion
– La Postcommunion s’appelle Complenda
– Ite missa est
– Benediction : Benedicat vos divina majestas, Pa + ter, et Fi + lius, et Spiritus + Sanctus. Amen.
– Dernier évangile & trois collectes :
– Deus qui humanæ substantiæ…
– Protector noster in te sperantium…
– Ecclesiam tuam, quæsumus Domine…

7. Action de grâce après la messe
– Hymne des 3 enfants
– Psaume 150
– Nunc Dimittis
– Ave Maria
– Kyrie eleison
– Pater
– Versets & deux collectes
– Dominus vobiscum
– Benedicamus Domino ℟. Deo gratias
– Gratias ago immense majestatis

* QUELQUES MOTS SUR L’ANNEE LITURGIQUE

– On compte les dimanches en parlant de dimanches après l’octave de l’Epiphanie et de dimanches après la Trinité (comme en Angleterre)
– Les vêpres du jeudi saint sont chantées après la messe (idem le Vendredi Saint après les Présanctifiés)
– La vigile pascale comporte 4 leçons et non 12 (structure du sacramentaire grégorien) mais curieusement avec un seul trait (Attende cœlum), pas de litanies, Sicut cervus après la bénédiction des fonts
– La vigile de la Pentecôte est assez semblable à celle de Pâques, mais l’unique trait après les 4 prophéties est Sicut cervus
– La préface de la Trinité est prescrite pour la fête de la Transfiguration le 6 août
– Le sanctoral comporte, outre bien sûr les saints norvégiens, un grand nombre de saints anglais (et pas mal de saints normands aussi).

* QUELQUES MOTS SUR LES CHANTRES ET LE CHANT

Après le XIIIème siècle, les chantres du chapitre de Nidaros furent nommés prélats, on pense qu’ils portaient une mitre en toile en certaines occasions. Cela était du reste assez fréquent dans toute la Scandinavie. Pour la messe et l’office, il y avait deux, quatre ou six chantres, qui chantaient au lutrin placé au milieu du chœur. Pour les fêtes de troisième classe, ils étaient remplacés par deux enfants d’aube.

On trouve des traces de polyphonies primitives (organum à deux voix à la quinte ou à l’octave) dès le XIème siècle, et des compositions à 3 voix dans le siècle suivant. Une hymne à deux voix à saint Magnus, qui a dû être composée au XIIIème siècle aux Orcades, est une merveille remarquable de composition.

En 1434, le roi Eric instaura la laus perennis à la cathédrale de Nidaros : dans l’intervalle entre chaque office et messe, on devait chanter des psaumes, afin d’offrir à Dieu une louange ininterrompue. Il ne semble pas cependant que cette institution ait duré longtemps.

Curieusement, l’orgue paraît d’usage très ancien à Nidaros. On en parle incidemment en 1327-1329 lorsque Arngrim Brandsson, prêtre islandais, ramena de Nidaros le premier orgue d’Islande.

* ET FINISSONS PAR QUELQUES DROLERIES

En 1205, l’Archevêque de Nidaros fit une étrange requête au pape Innocent III : il lui demandait s’il pouvait remplacer l’eau par de la bière pour administrer le baptême ! Le pape refusa bien sûr catégoriquement. L’archevêque ne semble pas avoir accepté la réponse, puisqu’il réitère sa question à Grégoire IX, lequel réédita le refus de son prédécesseur dans une lettre à l’archevêque Sigurd en 1241.

Si l’eau ne devait certes pas manquer en Norvège, le vin en revanche fut sans doute plus difficile à trouver (et ce fut pire, comme on peut l’imaginer, au Groenland ou en Islande). En 1203, Jean, evêque de Gardar, explique à Paul, évêque de Skalholt comment faire du vin avec des sortes de baies appelées kraekiberjum. Cette curieuse décoction fut interdite par le pape Grégoire IX en 1237.

L’archevêque de Nidaros demanda au même Grégoire IX, décidément bien sollicité, si l’on pouvait communier le peuple avec de la bière, ce qui fut bien évidemment refusé. Le manque de vin demeura un problème : le concile provincial de Bergen de 1320 prescrivit par soucis d’économie de mettre plus d’eau que de vin dans le calice à l’offertoire. Le versement de l’eau dans le calice incombait du reste au célébrant et non à l’acolyte.

SOURCE PRINCIPALE : Archdale A. King, Liturgies of the Past. Londres, Longmans, Green and C° Ltd, 1959.

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