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La Schola Sainte Cécile chante dans la basilique Saint-Pierre de Rome au Vatican

Nous offrons des cours de chant gratuits chaque samedi de 16h30 à 17h30 : travail du souffle, pose de voix, vocalises, découverte du chant grégorien et du chant polyphonique.

Les Petits Chantres de Sainte Cécile - maîtrise d'enfants

Votre enfant a entre 8 et 15 ans et souhaite chanter ? Inscrivez-le aux Petits Chantres de Sainte Cécile (filles et garçons). Répétitions le mercredi à 18h30 et le dimanche à 10h30.

Retrouvez les partitions que nous éditons, classées par temps liturgique ou par compositeur. Elles sont téléchargeables gracieusement.

Gustate et videte mozarabe

Gustate et videte mozarabe
Arrangements sur le plain-chant de l’Eglise d’Espagne Henri de Villiers.
4 voix mixtes (SATB).
4 pages – La mineur.

Au témoignage unanime des Pères de l’Eglise du IVème siècle, le psaume XXXIII Benedicam Dominum in omni tempore était universellement chanté à la communion de toutes les messes. Ce choix était motivé par son 9ème verset : Gustate et videte quam suavis est DominusGoûtez et voyez combien doux est le Seigneur – tandis que son 6ème verset (Accedite ad eum, et illuminamini – Allez à lui et vous serez illuminés) était perçu comme une invitation générale à venir communier.

Parmi les nombreux témoignages de la pratique de ce psaume à la communion (ou plus exactement, au début de la communion) au IVème siècle, on pourra citer par exemple, pour l’Orient, les Constitutions Apostoliques (Livre VIII, 13), saint Cyrille de Jérusalem (Catéchèse XXIII), pour l’Occident, nous disposons du témoignage de saint Jérôme (Commentaire sur Isaïe (livre II, chapitre V, § 20), de saint Augustin (Sermon CCXXV) ou de Cassiodore (Migne, Patrologie Latine, t. LXX, col. 234).

A partir du Vème siècle, les différentes liturgies d’Orient et d’Occident se mirent à varier le choix du psaume ou de l’hymne ou antienne de communion, mais des traces demeurèrent de la pratique plus ancienne du psaume XXXIII :

  • le rit byzantin a fait varier le chant de communion (koinonika) selon la fête du jour, mais a conservé le Gustate et videte pour la divine liturgie des Présanctifiés (Liturgie de saint Grégoire de Rome), ainsi qu’à la liturgie de saint Jacques frère du Seigneur.
  • la liturgie arménienne cite le psaume XXXIII dans la IVème strophe de l’hymne chantée à la communion, le rit éthiopien de même reprend le Gustate parmi les versets chantés à la communion.
  • le rit romain a conservé le Gustate et videte comme antienne de communion pour le VIIIème dimanche après la Pentecôte, le rit ambrosien le plaçant au Lundi in Albis, tandis que le rit celtique (au témoignage du Missel de Stowe et de l’Antiphonaire de Bangor), le place parmi une petite liste de pièces pour la communion.

Le rit hispanique (ou rit mozarabe – rappelons que ce terme signifie “Qui n’est pas arabe” et qu’il a servi à désigner les chrétiens espagnols sous domination musulmane) quant à lui est le seul a avoir conservé quasiment l’usage du IVème siècle : Le Gustate est chanté au début de la communion de toutes les messes, sauf durant le Carême et le Temps pascal.

Nous avons ici harmonisé à quatre voix le plain-chant mozarabe tel que restitué par le moine de l’Abbaye de Silos dom German Prado, osb (Manual de Liturgia Hispano-Visigótica o Mozárabe, Madrid, Voluntad, 1927). La saveur primitive de la cantilène hispanique nous ramène directement ici à la Chrétienté des origines.

Les premières mesures de cette partition :

 
Gustate et videte en plain-chant mozarabe
 

℟. Gustáte et vidéte quam suávis est Dóminus. ℟. Goûtez et voyez combien doux est le Seigneur.
* Alleluia, alleluia, alleluia. * Alleluia, alleluia, alleluia.
℣. Benédicam Dóminum in omni témpore, semper laus ejus in ore meo. ℣. Je bénirai le Seigneur en tout temps, toujours sa louange sera dans ma bouche.
℣. Rédimet Dóminus ánimas servórum suórum ; et non delínquent omnes qui sperant in eo. ℣. Le Seigneur rachètera les âmes de ses serviteurs, et tous ceux qui espèrent en lui ne seront point abandonnés.
℣. Glória et honor Patri, et Fílio, et Spirítui Sancto, in sæcula sæculórum. Amen. ℣. Gloire et honneur au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

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Le temps d’Avant-Carême (Septuagésime) dans les liturgies chrétiennes : antiquité & universalité

SeptuagesimeDans toutes les anciennes liturgies chrétiennes, on retrouve une période préparatoire au grand jeûne du Carême, pendant laquelle les fidèles sont avertis de l’arrivée de cette période majeure de l’année liturgique, afin qu’ils puissent débuter progressivement les exercices d’ascèse qui les accompagneront jusqu’à Pâques. Cette période préparatoire au Carême dure en général 3 semaines dans la plupart des rites. Dans le rit romain, ces 3 dimanches portent les nom de Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime. Ces appellations proviennent du système de comptage en usage dans l’antiquité et désignent la décade dans laquelle tombe chacun de ces dimanches. Ils précèdent le premier dimanche de Carême (Quadragésime).

Les Eglises de traditions syriaque et copte ont conservé un état plus ancien comprenant des périodes de jeûne plus courtes, le jeûne des Ninivites et le jeûne d’Héraclius, à partir desquelles s’est probablement constituée la période d’Avant-Carême des autres rits.

Le souvenir de la fragilité humaine, la méditation sur les fins dernières et par conséquence la prières pour les morts sont des éléments récurrents de cette période liturgique.

Inexplicablement, le rit moderne de Paul VI a supprimé de son année liturgique ce temps d’Avant-Carême, qui avait pourtant pour lui à la fois l’antiquité & l’universalité.
 

Aux origines de l’Avant-Carême (ou Septuagésime) : le jeûne des Ninivites

Septuagésime ou Avant-Carême : Jonas & la baleine

“Le Seigneur parla une seconde fois à Jonas, et lui dit : Allez présentement en la grande ville de Ninive, et prêchez-y ce que je vous ordonne. Jonas partit aussitôt, et alla à Ninive, selon l’ordre du Seigneur : Ninive était une grande ville qui avait trois jours de chemin. Et Jonas y étant entré, y marcha pendant un jour ; et il cria en disant : Dans quarante jours Ninive sera détruite. Les Ninivites crurent Dieu ; ils ordonnèrent un jeûne public, et se couvrirent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. Cette nouvelle ayant été portée au roi de Ninive, il se leva de son trône, quitta ses habits, se couvrit d’un sac, et s’assit sur la cendre. Ensuite il fit crier partout et publier dans Ninive cet ordre, comme venant de la bouche du roi et de ses princes : Que les hommes, les chevaux, les bœufs et les brebis ne mangent rien, qu’on ne les mène point aux pâturages, et qu’ils ne boivent point d’eau. Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, et qu’ils crient au Seigneur de toute leur force : que chacun se convertisse ; qu’il quitte sa mauvaise voie, et l’iniquité dont ses mains sont souillées. Qui sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner, s’il n’apaisera point sa fureur et sa colère, et s’il ne changera point l’arrêt qu’il a donné pour nous perdre ? Dieu donc considéra leurs œuvres ; il vit qu’ils s’étaient convertis en quittant leur mauvaise voie ; et la compassion qu’il eut d’eux, l’empêcha de leur envoyer les maux qu’il avait résolu de leur faire.”
Jonas III.

Septuagésime ou Avant-Carême : Jonas est rejeté par la Baleine devant NinivePour commémorer le jeûne des Ninivites, les Eglises de Syrie instituèrent un jeûne qui se déroule à partir du lundi de la 3ème semaine avant le début du Carême (correspondant au lundi de la Septuagésime romaine). Ces jours de jeûne sont appelés Baʻūṯá d-Ninwáyé en syriaque, expression qu’on peut rendre par Rogation (ou Supplication) des Ninivites. Il semble que ce jeûne durait initialement toute la semaine, plus précisément du lundi au vendredi, car le jeûne du samedi et du dimanche sont inconnus en Orient (mais l’abstinence sans jeûne pouvait se prolonger pour ces deux jours) ; le jeûne de Ninive fut réduit ultérieurement à 3 jours : lundi, mardi et mercredi (le jeudi est devenu un “jour d’action de grâce des Ninivites” dans le rit assyro-chaldéen). Traditionnellement, on explique le chiffre de ces trois jours de jeûne par les trois jours passés par Jonas dans la baleine. Ce jeûne de Ninive, très strict, est toujours pratiqué par les différentes Eglises araméennes tant de tradition orientale (Eglise chaldéenne, Eglise assyrienne, Eglises syro-malabares) que de tradition occidentale (Eglises syriaques). On y lit le livre de Jonas cité ci-dessus (chez les Assyro-Chaldéens, à la messe du 3ème jour). Ce jeûne est resté très populaire, certains fidèles vont jusqu’à ne pas boire ni manger pendant les trois jours. Seule parmi les Eglises de tradition syriaque, l’Eglise maronite ne connait plus de nos jours le jeûne des Ninivites à proprement parler (mais cette Eglise a adopté la disposition qu’on retrouvera plus loin des trois dimanches de préparation au Grand Carême).

Les neufs saints syriens qui évangélisèrent les campagnes d'Ethiopie au VIème siècleL’Eglise copte d’Egypte, de même que l’Eglise éthiopienne, a reçu des Eglises syriennes cet usage de la Supplication des Ninivites. Dans la liturgie copte égyptienne, ces 3 jours de rogation en mémoire du Jeûne de Ninive (appelé aussi “Jeûne de Jonas”) suivent strictement les usages liturgiques de Carême (la messe est célébrée après vêpres, les hymnes sont chantées sur le ton de Carême & sans cymbales, les lectures sont lues dans le lectionnaire de Carême). Le jeûne de Ninive fut adopté par l’Eglise copte d’Egypte sous le 62ème patriarche d’Alexandrie, Abraham (ou Ephrem) (975 † 978), qui était d’origine syrienne. Il est possible que l’adoption du jeûne de Ninive en Ethiopie fusse plus ancienne (le premier évêque d’Axoum, saint Frumence, était syrien d’origine et l’Eglise d’Ethiopie fut réorganisée au VIème siècles par le groupe des neufs saints syriens, qui contribuèrent grandement à l’évangélisation des campagnes éthiopiennes. Le jeûne de Ninive (Soma Nanawe) est très sévère dans l’Eglise d’Ethiopie et nul ne peut s’en dispenser.

Saint Grégoire l'Illuminateur et le baptême de l'ArménieA quand remonte l’institution du jeûne des Ninivites chez les Syriaques ? Il est probable que ce jeûne fut pratiqué à une haute époque, en voici quelques indices. Saint Ephrem, diacre d’Edesse, compose des hymnes sur le jeûne des Ninivites (il semble que la période de jeûne soit alors d’une semaine et non de 3 jours comme aujourd’hui). L’Eglise arménienne connaît un jeûne de Ninive qui dure cinq jours : il commence le même lundi que les Eglises syriaques (3ème lundi avant le début du Carême) & s’arrête au vendredi suivant (où l’on fait mention de l’appel de Jonas aux Ninivites), soit une semaine complète (on ne jeûne jamais ni le samedi ni le dimanche chez les Arméniens, ce qui est une constante en Orient). Ces jours connaissent un jeûne et une abstinence sévères, semblable à ceux du grand Carême et les auteurs arméniens posent qu’ils ont été institués par saint Grégoire l’Illuminateur au moment de la conversion générale des Arméniens en 301. Il est probable que saint Grégoire l’Illuminateur ne faisait que reprendre une coutume déjà en vigueur chez les chrétiens syriaques voisins. L’institution de ce jeûne – qui paraît être ancienne chez les assyro-chaldéens, pourrait être passée (ou réactivée) au VIème siècle chez leurs cousins les syriaques jacobites par l’action de saint Maruthua, catholicos jacobite de Tagrit, à l’occasion d’une épidémie de peste dans la région de Ninive. Il est possible que la réduction du jeûne à 3 jours au lieu d’une semaine remonte à cette époque.
 

Aux origines de l’Avant-Carême : la semaine de la Quinquagésime, le jeûne d’Héraclius, la semaine de la Tyrophagie

En Orient comme en Occident, la semaine qui précède immédiatement le Carême se revêt très tôt d’un caractère pénitentiel : on y débute une première abstinence, celle des viandes. Rappelons que dans l’Eglise primitive, les chrétiens suivent un régime strictement végétalien durant tout le Carême. Au cours de la semaine qui précède immédiatement le Carême (Quinquagésime latine, Tyrophagie byzantine), si les viandes sont retranchées, en revanche les laitages, les œufs et les autres produits d’origine animale restent encore consommés.

Le Christ au désert servi par les Anges - Philippe de ChampaignePour mieux comprendre l’origine de cette semaine précédant le Carême, rappelons que celui-ci dure 7 semaines en Orient et 6 semaines en Occident. En Orient, où l’on ne jeûne ni le samedi (hormis le samedi saint) ni le dimanche, cela fait donc un Carême de 36 jours de jeûne. En Occident, où l’on jeûne le samedi mais jamais le dimanche, on arrivait donc (avant saint Grégoire le Grand) au compte identique de 36 jours de jeûne. Pour compenser les jours de jeûne manquants et atteindre le chiffre symbolique de 40 (les 40 jours de jeûne du Christ au désert) en tenant compte de la possible occurrence de fêtes qui suppriment le jeûne (principalement l’Annonciation), de pieux chrétiens choisirent d’anticiper d’une semaine le début officiel du Carême.

La communion de saint Grégoire le GrandLa suppression des viandes la semaine précédant le Carême est tôt attestée en Occident. Le dimanche de la Quinquagésime est appelé dans les anciens livres latins “Dominica ad carnes tollendas” ou “Dominica ad carnes levandas” (d’où le nom de Carnaval…), ce qui indiquait bien qu’on commençait à retrancher les viandes au lendemain de ce dimanche, pour ne passer au régime strictement végétalien du Carême que la semaine suivante. Le premier dimanche de Carême qui suit est lui qualifié de “in capite jejunii” (au début du jeûne). Rappelons qu’avant saint Grégoire le Grand, le Carême romain ne commençait qu’au lundi qui suit le premier dimanche de Carême (disposition conservée chez les Ambrosiens & chez les Mozarabes). Saint Grégoire fit commencer le jeûne au mercredi de la Quinquagésime afin d’arriver à un compte rond de 40 jours de jeûne (pour autant, le rit romain jusqu’à nos jours maintient l’ordonnance des offices de la Quinquagésime après le mercredi des Cendres, les rubriques propres au Carême ne commencent qu’aux premières vêpres du Ier dimanche de Carême).

Saint Léon le GrandL’institution du dimanche de la Quinquagésime est attribuée dans le Liber Pontificalis au pape saint Télesphore, 8ème pape de 125 à 136–138. Cette attribution est peut-être légendaire, mais comme la notice relative au pape Télesphore fut rédigée sous le pape saint Hormisdas (514 † 523), on peut en inférer que cet usage était déjà immémorial à cette époque pour pouvoir être attribué de façon plausible à un pontificat aussi ancien. Le sacramentaire léonien contient une messe de la Quinquagésime ; ses textes passent pour avoir été rédigés sous le pape Vigile vers 538.

En Orient, on peut suivre également les indices précoces de l’établissement de la Semaine de la Tyrophagie (Semaine des Laitages) une semaine avant le Carême. La pèlerine Egérie (Itinéraire 27, 1) rapporte dans son récit qu’une huitième semaine de pénitence était en usage à Jérusalem dès le IVème siècle. Au Vème – VIème siècle, les lectionnaires georgiens, qui témoignent de la liturgie de Jérusalem pour cette période, témoignent de l’existence de lectures particulières pour les deux dimanches qui précèdent le Carême.

Saint Dorothée de Gaza au VIème siècle témoigne que l’institution d’une semaine de pénitence en préambule du Carême est déjà ancienne et ne remonte pas à son temps :

“Ce sont les Pères qui, par la suite, convinrent d’ajouter une autre semaine, à la fois pour exercer à l’avance et comme pour disposer ceux qui vont se livrer au labeur du jeûne, & pour honorer ces jeûnes par le chiffre de la Sainte Quarantaine que notre Seigneur passa lui-même dans le jeûne.”
Dorothée de Gaza, Œuvres spirituelles XV, 159.

L'empereur Héraclius défait l'empereur perse ChosroèsL’usage d’une semaine d’ascèse immédiatement avant l’ouverture du Carême, déjà attesté avant le VIème siècle (Saint Sévère d’Antioche la compte dans sa description du Carême), va être sanctionné par des décisions officielles au VIIème siècle sous le règne d’Héraclius. L’origine du jeûne d’Héraclius est incertaine. La majorité des auteurs la met en relation avec les évènements de la guerre qui eut lieu entre l’Empire romain byzantin et l’Empire perse sassanide de 602 à 628, durant laquelle les populations juives de Palestine entrèrent en rébellion contre les chrétiens et le pouvoir de Constantinople et s’allièrent avec les troupes perses, ce qui aboutit à la chute de Jérusalem aux mains des Perses, à la perte de la relique de la Vraie Croix, emportée en Perse, et au massacre de 90 000 chrétiens. Lorsqu’en 629 Héraclius entra triomphalement dans Jérusalem reconquise par les troupes byzantines, toutes les églises chrétiennes, dont le Saint-Sépulchre, étaient ruinées ; l’empereur ordonna un massacre des milices juives rebelles, en dépit d’une promesse d’amnistie qu’il leur avait faite. En pénitence de ce parjure, le patriarche de l’Eglise de Jérusalem institua une semaine de jeûne avant le début du Grand Carême. Cette ordonnance ne devait durer initialement que 70 ans mais perdure encore aujourd’hui sous ce nom de Jeûne d’Héraclius chez les coptes d’Egypte et d’Ethiopie. A côté de cette explication, la plus répandue, on néglige en général une autre : Héraclius prescrivit à ses troupes une semaine d’abstinence des viandes et de réduction aux laitages lors de la sixième année de ses guerres contre les Perses, afin d’implorer Dieu pour la victoire. Il est d’ailleurs possible que les deux explications soient vraies et plus que probable qu’elles ne faisaient que sanctionner un usage déjà bien répandu. Au siècle suivant, saint Jean Damascène témoigne que le Carême est précédé d’une semaine préparatoire (cf. Du Jeûne sacré, 5).

L’institution d’une semaine de jeûne mitigé juste avant le grand Carême, observée très tôt tant en Orient qu’en Occident, possédait deux vertus, l’une symbolique et l’autre pratique : d’une part, ces jours de semi-jeûne étaient perçus comme une compensation pour atteindre le compte des 40 jours effectifs de jeûne ; d’autre part le passage au régime végétalien strict du Carême était facilité car plus progressif.
 

Synthèse du jeûne des Ninivites et de la Semaine sans viande – extension de l’Avant-Carême sur trois semaines

On l’a vu, au sixième siècle, l’usage de faire précéder le Carême d’une semaine d’abstinence de viandes est déjà bien installé en Orient et en Occident. Seul le 24ème canon du concile d’Orléans de 511 en proscrit l’observance, ce qui a contrario prouve qu’elle tendait à se répandre dès avant cette date dans la France mérovingienne. Certaines Eglises en Orient ajoutent le jeûne des Ninivites dans la 3ème semaine précédant le Carême. Il était dès lors tentant de relier ces deux périodes, et d’étendre l’Avant-Carême d’une à trois semaines.

Eglise arménienneIl est possible qu’en Orient ce pont liturgique entre Carême et le jeûne de Ninive fut jeté en premier en Arménie. Le temps de l’Avant-Carême arménien s’appelle Aratchavor. Il comporte trois dimanches, la Septuagésime s’appelant Barekendam (ou dernier jour gras). La première semaine est stricte & consacrée au jeûne des Ninivites (institué par saint Grégoire l’Illuminateur au IVème siècle). La seconde & la troisième semaine sont moins marquées par la pénitence, on n’y observe que les jeûnes des mercredis & des vendredis.

Sacramentaire de Charles le Chauve : folio 3 r° : saint Grégoire le Grand dicte ses livres liturgiques à ses scribes, sous l'inspiration du Saint-EspritA Rome, c’est dès le cours du VIème siècle que le dimanche de la Quinquagésime se voit lui-même précédé de deux autres dimanches : Sexagésime & Septuagésime. L’Epistolier de Victor de Capoue (datant de 546) atteste de la présence du dimanche de la Sexagésime dès cette époque. Le sacramentaire gélasien ancien (Vat. Reg. 316) contient des textes d’oraisons propres pour la Septuagésime et la Sexagésime. Les stations des trois dimanches sont fixées sous les papes Pélage Ier (556 † 561) & Jean III (561 † 574) dans les basiliques de Saint-Laurent, Saint-Paul et Saint-Pierre. On possède les homélies prononcées par saint Grégoire le Grand pour la Septuagésime, la Sexagésime & la Quinquagésime. Il est du reste plus que probable que saint Grégoire ait remanié la liturgie de ces trois dimanches, en accentuant leur caractère pénitentiel. Le plus ancien lectionnaire romain connu, le lectionnaire dit de Würzburg, rédigé dans la première moitié du VIème siècle, qui fut en usage en Gaule et qui correspond à la structure du sacramentaire gélasien ancien, témoigne que les lectures des 3 dimanches de Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime que nous utilisons encore aujourd’hui étaient déjà en usage. La plupart des variantes diocésaines médiévales du rit romain comportaient aussi des lectures spéciales pour les mercredis et vendredis de ces trois semaines, rappelant que ces jours de jeûnes connaissaient à l’origine des stations liturgiques spéciales.

L’Avant-Carême existe aussi dans la tradition ambrosienne. Les trois dimanches s’appellent comme au romain : Septuagésime, Sexagésime & Quinquagésime. On notera que l’Alleluia n’y est pas supprimé (il le sera au dimanche de Quadragésime, la veille du début du jeûne). Les textes employés pour ces trois dimanches sont très différents de ceux du rit romain, ce qui n’aurait pas été le cas si la Septuagésime n’avait pas été très ancienne à Milan et si elle avait été empruntée à Rome. Citons le beau Transitorium de la messe de la Septuagésime, qui annonce le programme de ce temps spécial d’Avant-Carême :

Convertímini * omnes simul ad Deum mundo corde, & ánimo, in oratióne, jejúniis & vigíliis multis : fúndite preces vestras cum lácrymis : ut deleátis chirógrapha peccatórum vestrórum, priúsquam vobis repentínus supervéniat intéritus ; ántequam vos profúndum mortis absórbeat : & cum Creátor noster advénerit, parátos nos invéniat.

Convertissez-vous tous à Dieu, d’un cœur & d’une âme purs, dans la prière, les jeûnes et les veilles nombreuses. Répandez vos prières avec larmes, afin d’effacez la sentence méritée par vos péchés, avant que la mort ne vienne tout à coup fondre sur vous ; avant que le gouffre de la mort ne vous engloutisse. Et quand notre Créateur adviendra , qu’il nous trouve prêts.

Comme ailleurs à Rome, les dimanche de Quinquagésime puis de Sexagésime ont été institués plus anciennement que la Septuagésime, un peu plus récente. Notons aussi cette particularité de la tradition ambrosienne : le dernier dimanche après l’Epiphanie – qui précède la Septuagésime – voit de façon très ancienne la lecture systématique de Matthieu XVII, 14-20, la guérison du fils lunatique, lequel se termine par ce verset qui annonce le début de l’avant-Carême :

“Mais cette sorte [de démons] ne se chasse que par la prière et par le jeûne.”

Si l’on considère que le Carême à Rome commençait avant l’époque de saint Grégoire le Grand (fin du VIème siècle) au lundi suivant le Ier dimanche de Carême (comme c’est le cas encore à Milan & à Tolède), et en faisant coïncider ce dimanche avec celui qui précède le Carême byzantin (dimanche de l’Expulsion d’Adam), voici les correspondances entre les Avant-Carêmes romain & byzantin :

Rit romain

Rit byzantin

Septuagésime Dimanche du Publicain & du Pharisien
Sexagésime Dimanche du Fils prodigue
Quinquagésime Dimanche du Jugement dernier
Dernier jour des viandes avant la Semaine de la Tyrophagie
Ier dimanche de Carême Dimanche de l’Expulsion d’Adam

Le rit byzantin choisit au cours de cette période de faire lire des évangiles préparant les fidèles à la pénitence du Carême. L’organisation des trois semaines est attestée par le Typikon de la Grande Eglise (IXème-Xème siècle) ; l’absence de documents liturgiques plus anciens ne permet pas de préciser davantage le temps de cette organisation. A noter que dans la première semaine, celle qui suit le dimanche du Publicain & du Pharisien, & à la suite de polémiques médiévales complexes, les byzantins suppriment complètement tout jeûne, même ceux habituels du mercredi & du vendredi, afin de se démarquer du jeûne des Arméniens de cette même semaine.

Seuls quelques rares rits, isolés du courant général de la chrétienté par les progrès de l’Islam, n’ont pas développé les trois semaine de l’Avant-Carême. Le rit hispano-mozarabe – figé par la conquête arabe – est ainsi resté au stade primitif antérieur au début du VIème siècle d’un seul dimanche préparant le Carême (Quinquagésime). Ce dimanche est appelé dans ce rit Dominica ante carnes tollendas, ce qui indique que le Carême était bien précédé d’une semaine où l’on retranchait les viandes mais pas encore les laitages ni les autres produits non strictement végétaliens. L’Egypte et l’Ethiopie possèdent à la fois le jeûne de Ninive et le jeûne d’Héraclius, mais n’ont pas englobé ces deux jeûnes dans une période d’Avant-Carême. Chez les Ethiopiens toutefois, le dimanche correspondant à la Sexagésime latine – quoique compté encore liturgiquement dans le temps après l’Epiphanie – est fixé de fait par rapport au dimanche suivant (Quinquagésime – Za-Warada ou Qabbaka som) : il s’agit du dimanche du Fiancé (Zamana Qebbala Mar’awi) (car on utilise Matthieu 25, 1-13 dans le texte des antiennes) ; il marque aussi l’arrêt du temps où les mariages sont possibles. Les Assyro-Chaldéens enfin s’en sont tenus aux Rogations des Ninivites et ne connaissent pas l’équivalent de la Quinquagésime.
 

L’Avant-Carême & la méditation sur la fragilité humaine

Ayant montré l’antiquité & l’universalité de la période d’Avant-Carême dans les différents rits, nous terminons cette présentation par la mise en lumière de thèmes récurrents employés par les liturgies d’Orient & d’Occident.
 

La lecture de la Genèse : méditation sur la chute de l’homme et la nécessité de la Rédemption

Adam fut privé des délices du Paradis * par l’amertume du fruit; * sa gourmandise lui fit rejeter * le commandement du Seigneur ; * il fut condamné à travailler * la terre dont il était lui-même formé ; * à la sueur de son front * il dut gagner le pain qu’il mangeait. * Aussi, gardons la tempérance, pour ne pas devoir comme lui * pleurer devant la porte du Paradis, * mais efforçons-nous d’y entrer.
Cathisme des matines du dimanche de l’Expulsion d’Adam

L’hymnographie byzantine du dimanche qui précède immédiatement le premier jour du Carême (qui donc techniquement correspond en fait au Ier dimanche de Carême des latins) est consacrée à la Création et au péché d’Adam & Eve, mettant en rapport la gourmandise de notre premier père & le jeûne de 40 jours du Seigneur au désert. De fait, on retrouve fréquemment la lecture du livre de la Genèse soit au début du Carême, soit remontée trois semaine au dimanche de la Septuagésime. Au rit romain, on commence encore la lecture de la Genèse aux matines du dimanche de la Septuagésime ; à sa suite les autres livres de la Bible sont lus dans l’ordre tout au long de l’année liturgique.
 

Le souvenir de la mort & les fins dernières

La méditation sur la chute d’Adam s’est naturellement accompagnée de celle sur la fragilité de l’homme, sa mort, et la nécessité de faire pénitence avant le jugement dernier.

L’introït par lequel s’ouvre la messe romaine du dimanche de la Septuagésime est parfaitement éloquent :

Circumdederunt me * gémitus mortis, dolóres inférni circumdedérunt me : et in tribulatióne mea invocávi Dóminum, et exáudivit de templo sancto suo vocem meam.   Les angoisses de la mort m’ont environné et les douleurs de l’enfer m’ont assailli ; dans ma tribulation, j’ai invoqué le Seigneur, et il a exaucé de son saint Temple ma voix.

Media vita : répons pour la Septuagésime de Notker Le BègueLe Media vita est lui aussi un texte encore souvent chanté durant la Septuagésime dans le rit romain. Cette antienne dont l’origine semble remonter au VIIIème siècle fut par la suite transformée en répons (lui-même plutôt intégré dans le temps du Carême). Au Moyen-Age, son texte dramatique lui assura une grande ferveur, on le chantait sur les champs de bataille. En voici la traduction :

℟. Au milieu de la vie, nous sommes dans la mort : quel secours chercher, sinon toi, Seigneur ? toi qui à bon droit es irrité de nos péchés : * Saint Dieu, Saint fort, Saint Sauveur miséricordieux, ne nous livre pas à la mort amère. ℣. En toi ont espéré nos pères: ils ont espéré et tu les as libéré. ℣. Vers toi ont crié nos pères: ils ont crié et ne furent pas confondus. ℣. Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit.

Dans le rit byzantin, le dimanche du Jugement dernier (qui correspond à notre Quinquagésime) fait de même tourner les regards des fidèles vers les fins dernières.

Mais ce rit comporte aussi une pièce emblématique propre à cette période d’avant-Carême : à l’office de matines en effet, on y chante en effet le psaume 136 “Sur les fleuves de Babylone” (Super flumina Babylonis). Ce psaume est alors adjoint aux deux autres psaumes du polyeleos, les psaumes 134 et 135 et ces trois psaumes forment l’équivalent du Troisième nocturne de l’office romain ou bénédictin. Selon l’archevêque Job Getcha, ces trois psaumes 134-135-136, première stase du cathisme 19 dans le Psautier palestinien, étaient chantés ensemble tous les dimanches de l’année, mais le psaume 136, à la tonalité plus triste que les deux précédents, ne fut conservé que pour les dimanches du Fils Prodigue, de l’Apokréo et de la Tyrophagie.

En voici une célèbre version russe, adaptée par nos soins du slavon au latin :


 

La prière pour les morts

Comme la liturgie de l’Avant-Carême nous rappelle notre condition mortelle déchue par le péché, ce temps est aussi devenu dans beaucoup de traditions liturgiques un moment privilégié pour prier pour les morts.

Dans le rit arménien, le jeudi de la Quinquagésime (dernier jeudi avant le début du Carême) est consacré à la commémoraison de tous les défunts.

Dans le rit byzantin, le samedi qui précède immédiatement le dimanche du Jugement dernier est dédié – bien logiquement – à la prière pour tous les fidèles défunts. Son existence est attesté dans le typikon de la Grande Eglise (IXème – Xème siècle, document majeur qui nous décrit l’organisation des offices à Sainte-Sophie).

Dans le rit assyro-chaldéen, le vendredi de la seconde semaine avant le Carême (notre Vendredi de la Sexagésime) est consacré à la commémoraison de tous les fidèles défunts.

Chez les Maronites, les trois dimanches d’Avant-Carême sont consacrées au souvenir des morts : le dimanche des prêtres défunts (Septuagésime), le dimanche des Justes & droits (Sexagésime), le dimanche des fidèles défunts (Quinquagésime). La disposition de l’Avant-Carême syriaque jacobite est sans doute plus primitif : jeûne des Ninivites (Sawmo d’ninwoyé – du lundi au mercredi de la Septuagésime), dimanche des prêtres défunts (Kohné – Sexagésime), dimanche des fidèles défunts (‘Aneedé – Quinquagésime).
 

Conclusions sur la Septuagésime ou Avant-Carême

Les acteurs de la réforme liturgique du missel de Paul VI ont inexplicablement supprimé le temps de la Septuagésime, cet antique élément du rit romain, sans égard pour son antiquité et son universalité (la Septuagésime avait même été conservée dans le Book of Common Prayer des Anglicans et chez nombre de communautés luthériennes !). Cet article a permis de préciser les points suivants :

1. Dans toutes les traditions liturgiques, le Carême est précédé d’une période pénitentielle. Cette période est à l’origine soit le jeune des Ninivites, dans la troisième semaine avant le Carême, soit la semaine qui précède immédiatement le Carême (Tyrophagie / Quinquagésime / jeûne d’Héraclius). Les plus anciens témoignages de cette période d’Avant-Carême remontent au IVème siècle (saint Grégoire l’Illuminateur, saint Ephrem, Egérie à Jérusalem). Les Coptes d’Egypte & d’Ethiopie connaissent ces deux jeûnes, le rit Mozarabe ne connaît que la Quinquagésime, les Assyro-Chaldéens que les Rogations des Ninivites. A partir du début du VIème siècle, l’Avant-Carême se développe & s’étend sur les trois semaines précédent le Carême (rits romain, ambrosien, byzantin, arménien, syro-jacobite, maronite).

2. Ce temps est conçu comme une entrée progressive dans le Carême, permettant une ascèse graduée & une préparation spirituelle. Cet aspect est mis en avant par le protoprêtre Alexandre Schmemann dans sa description des dimanches d’Avant-Carême :

“Trois semaines avant que ne commence réellement le Grand Carême, nous entrons dans une période de préparation. C’est une caractéristique constante de notre tradition liturgique que chaque événement liturgique majeur – Noël, Pâques, Carême, etc, est annoncé et préparé longtemps à l’avance. Connaissant notre manque de concentration, l’état “matérialiste” de notre vie, l’Église attire notre attention sur l’aspect important de l’événement qui s’approche, nous invite à en méditer les différentes “dimensions” ; dès lors, avant que nous ne puissions pratiquer le Grand Carême, on nous en donne la théologie de base.”
Protopresbyter Alexander Schmemann, The Liturgical Structure of Lent.

3. La méditation sur la chute de l’homme et les fins dernières (avec pour conséquence l’institution fréquente de prières pour les fidèles défunts) constituent des éléments récurrents dans les différents rits de ce temps d’Avant-Carême (ou de Septuagésime).

Programme de la solennité de saint Eugène, premier évêque de Tolède & martyr, patron

Le martyre de saint Eugène - fresque de Francisco Bayeu y Subías (1734 † 1795) - cloître de la cathédrale de TolèdeSaint-Eugène, le dimanche 17 novembre 2013, procession des reliques de saint Eugène, suivie de la grand’messe de 11h.

Saint Eugène est mis au nombre des disciples ou des compagnons de saint Denys Ier, évêque de Paris, dans plusieurs actes des martyrs. Ce saint évêque l’envoya dans plusieurs lieux pour visiter les Eglises confiées à ses soins. Revenu de ses visites après le martyr de saint Denys, lorsque la persécution était encore des plus vives, il fut pris dans un village qu’on appelle Deuil, qui est à trois lieues de Paris ; et là, après avoir donné des marques éclatantes de sa foi, il fut condamné à avoir la tête tranchée, par la sentence du gouverneur Sisinnius Fescenninus. Son corps fut jeté par les gentils dans un certain lac, dit le lac Marchais. Hercold, homme d’une grande considération, qui avait déjà fait bâtir une église sur le tombeau de saint Denys, le chercha dans ce lac, et l’ayant trouvé, l’ensevelit honorablement, à l’endroit même où il avait souffert le martyre, et il y fit élever un magnifique oratoire. Son corps ayant été transporté, avant le Xe siècle, dans le monastère de saint Denys en France, plusieurs portions de ses reliques furent envoyées dans différentes églises de France et d’Espagne, où elles sont en grande vénération.
Du Propre de Paris, au 15 novembre, IVe leçon du IInd nocturne de l’office de la nuit, en la fête de saint Eugène.

Pour fêter notre saint patron, la Schola interprétera cette année la Missa Caça écrite par Cristóbal de Morales (C. 1500 † 1553), l’un des plus fameux maître de chapelle de la cathédrale de Tolède, primatiale d’Espagne.

  • Procession des reliques de saint Eugène : Christus vincit – Laudes regiæ (acclamations carolingiennes – IXème siècle)
  • Mémoire du XXVème dimanche après la Pentecôte par les oraisons reprises du VIème dimanche après l’Epiphanie – Propre du jour en vieux plain-chant parisien
  • Retour au chœur du clergé : Hæc dicit Dominus – Prælegendum de la messe de la fête de saint Eugène dans le rit hispano-mozarabe – plain-chant wizigothique tiré des livres de chœur de la cathédrale de Tolède (manuscrits du cardinal Cisneros)
  • Introït
  • Kyrie & Gloria de la Missa Caça de Cristóbal de Morales
  • Graduel
  • Alleluia
  • Séquence : Verbi semen qui plantavit – prose de saint Eugène – selon la tradition, l’orgue chante les strophes impaires.
  • Credo de la Missa Caça de Cristóbal de Morales
  • Offertoire
  • Pendant les encensements de l’offertoire : Sancti Eugenii digna memoria – hymne de l’ancien office parisien de saint Eugène – plain-chant du premier ton (H. 55) de Marc-Antoine Charpentier
  • Sanctus, Benedictus & Agnus Dei de la Missa Caça de Cristóbal de Morales
  • Pendant la communion : Beatus vir – Psallendum de la messe de la fête de saint Eugène dans le rit hispano-mozarabe – plain-chant wizigothique tiré des livres de chœur de la cathédrale de Tolède (manuscrits du cardinal Cisneros)
  • Communion
  • Prière pour la France, sur le ton royal – harmonisation traditionnelle de Notre-Dame de Paris
  • Ite missa est VIII
  • Au dernier Evangile : Salve Regina
  • Procession de sortie : Virgines, & vos pueri vicissim – hymne des Ires et IIes vêpres de l’ancien office parisien de saint Eugène – plain-chant du sixième ton tiré des livres de Coutances
  • Télécharger le livret de cette messe au format PDF.
    Histoire de saint Eugène et de ses reliques

    Peregrenación a Toledo

    Messe en rit mozarabe à Salamanque

    La Schola Sainte Cécile de París hará una peregrinación a Toledo del 21 al 25 de agosto de 2013. Cantará la Santa Misa en rito mozárabe ante las reliquias de San Eugenio, primer arzobispo de Toledo, en la capilla mozárabe de la Catedral Toledana, el sábado 24 de agosto de 2013 a las 9:00 hs.

    Cantará la Santa Misa en rito mozárabe en la parroquia de Santas Justa & Rufina el domingo 25 de agosto a las 9:00 hs.

    Messe mozarabe saint Eugène, premier évêque de Tolède

    La Schola Sainte Cécile canta cada domingo en dos ritos: el romano (en su forma extraordinaria) y el bizantino eslavo. En el pasado y en varias oportunidades, hemos cantado misas pontificales en Italia en rito ambrosiano y ocasionalmente cantamos algunos oficios en rito parisino antiguo. Nos interesa particularmente la sinfonía de ritos de la Iglesia católica y mucho valoramos el tema de las liturgias particulares.

    Reliquaire du corps de saint Eugène, cathédrale de Tolède

    Evento en Facebook

    Chant mozarabe – Pacem meam do vobis – commun de la messe mozarabe

    Pacem meam do vobis : Ad pacem ordinaire de la messe mozarabe

    Pacem meam do vobis, pacem meam comméndo vobis, non sicut mundus dat pacem, do vobis. Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix, non comme le monde donne la paix, je vous la donne moi. (Jean 14, 27)
    ℣. Novum mandatum do vobis ut diligátis vos ínvicem. V. Je vous donne un commandement nouveau : de vous aimer les uns les autres. (Jean 13, 34)
    ℣. Glória et honor Patri et Fílio et Spíritui Sancto, in sæcula sæculórum. Amen. ℣. Gloire & honneur au Père & au Fils & au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

    Dans le rit mozarabe, comme dans toutes les liturgies orientales et la plupart des liturgies occidentales, le baiser de paix se place à l’offertoire avant le canon eucharistique, conformément aux paroles de Notre Seigneur :

    Si donc, lorsque vous présentez votre offrande à l’autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez-là votre don devant l’autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don. (Matthieu, 5, 23-24)

    Seules l’ancienne liturgie des Eglises d’Afrique et la liturgie romaine divergent très tôt sur ce point et placent le baiser de paix avant la communion, après la consécration des saintes espèces, en insistant sur le fait que la paix est reçue par le sang versé du Christ (le calice contenant le précieux Sang est d’abord baisé par le célébrant et de là la paix se propage). Il s’agit d’une toute autre perspective.

    La liturgie ambrosienne synthétise les deux usages et connait un double baiser de paix (à l’offertoire, selon la tradition antique commune et avant la communion, selon la tradition romano-africaine).

    Il était aussi très courant jusqu’à naguère dans les Eglises de France de présenter l’instrument de paix à l’offertoire en particulier aux messes des morts, y compris celles célébrées dans le rit romain (alors que le baiser de paix est interdit stricto sensu aux messes des morts dans ce rit) : cette pieuse coutume est de fait un antique souvenir de l’ancien rit des Gaules supprimé par Charlemagne, lequel connaissait le baiser de paix à l’offertoire comme dans le rit mozarabe. C’était admirable de voir que cet usage avait perduré dans notre pays et traversé les âges jusqu’aux dernières années du XXème siècle.

    Dans le rit mozarabe, le baiser de paix est accompagné d’un chant, dit “Ad pacem”. La plupart du temps, il s’agit du beau texte des paroles de Notre Seigneur dans l’évangile de Jean, dont le chant est donné ci-dessus. Quelques rares grandes fêtes ont un texte propre différent.

    La plupart des rits chrétiens ont fortement atténué l’accompagnement rituel du baiser de paix, et celui-ci est tombé en général en désuétude. Son souvenir n’est plus en général évoqué que par un texte très bref (par exemple : Pax Domini sit semper vobiscum dans le rit romain, Aimons-nous les uns les autres, afin que dans un même esprit nous confessions : Le Père, le Fils et le Saint Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible dans le rit byzantin). Dans le rit mozarabe en revanche, le rite de la paix s’est intégralement conservé depuis l’antiquité et n’a pas disparu en chemin (en raison probablement de l’isolement très fort du rit hispanique durant la domination arabe) ; la messe mozarabe comporte toujours une oraison qui varie à chaque messe, l’oratio ad pacem, plusieurs monitions diaconales et ce chant de l’antienne Ad pacem, le tout se place juste avant le dialogue de la préface eucharistique.

    Le chant de l’antienne Pacem meam do vobis s’apparente au VIIIème ton grégorien, le chœur reprend l’intégralité de l’antienne après le verset & la doxologie.

    Source : Cantoral mozarabe n° II de la Chapelle du Corpus Christi de la cathédrale de Tolède, folios XIII v° et XIV r°.

    Chant mozarabe – Laudes de la messe d’un martyr ponfife

    Laudes Exultabit justus de la messe d'un martyr pontife

    Alleluia. ℣. Exsultábit iustus in glória, et gaudébit in lætítia sempitérna. Alleluia. Alleluia. Les saints seront dans la joie se voyant comblés de gloire : ils se réjouiront dans le lieu de leur repos. (Psaume 149, 5)

    Les Laudes mozarabes correspondent à l’Alleluia de la messe romaine, ambrosienne, byzantine, etc… Il s’agit bien sûr de l’alleluia chanté avant et après un verset de psaume. C’est un trait particulier à l’antique liturgie hispanique que l’alleluia à la messe mozarabe ne se chante pas avant mais après l’évangile (après la prédication de fait), ainsi que l’attestent plusieurs canons des conciles de Tolède et plusieurs passages de saint Isidore de Séville.
    Source : Cantoral mozarabe n° II de la Chapelle du Corpus Christi de la cathédrale de Tolède, folios XIII v° et XIV r°.

    Chant mozarabe – Psallendum de la messe d’un martyr ponfife

    Psallendum Beatus vir de la messe d'un martyr pontife

    Beátus vir qui non ábiit in consílium impiórum, sed in lege Dómini fuit volúntas ejus. Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller à suivre le conseil des impies, mais dont la volonté est attachée à la loi du Seigneur. (Psaume 1, 1-2)
    ℣. Et erit tanquam lignum, quod plantátus est secus decúrsus aquárum ; et ómnia quæcúmque fecit prosperabúntur. ℣. Il sera comme un arbre qui est planté proche le courant des eaux ; toutes les choses qu’il fera, auront un heureux succès. (Psaume 1, 3)
    ℟. Sed in lege Dómini fuit volúntas ejus. ℟. Mais sa volonté est attachée à la loi du Seigneur.

    Le Psallendum mozarabe (parfois appelé Psalmus) correspond très exactement au Graduel de la messe romaine, au Psalmellus de la messe ambrosienne, au Prokimenon de la liturgie byzantine, au Shouraya des Chaldéens, etc… Il s’agit dans tous les cas d’un répons avec un verset de psaume suivi d’une reprise (partielle ou totale) du répons. C’est un élément universel de toutes les liturgies chrétiennes, qui remonte à la primitive Eglise.

    Source : Cantoral mozarabe n° II de la Chapelle du Corpus Christi de la cathédrale de Tolède, folios XII v° à XIII v°.

    Chant mozarabe – Sacrificium de la messe d’un martyr ponfife

    Sacrificium Ego servus tuus

    Ego servus tuus et fílius ancíllæ tuæ, dirupísti víncula mea, * tibi sacrificábo sacrifícium laudis, allelúia. Je suis votre serviteur, et le fils de votre servante, vous avez rompu mes liens, * je vous sacrifierai une hostie de louanges. (Psaume 115, 16-17)
    ℣. Pretiósa in conspéctu Dómini, mors sanctórum eius, allelúia. ℣. C’est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur, que la mort de ses saints. (Psaume 115, 15)
    ℟. Tibi sacrificábo sacrifícium laudis, allelúia. ℟. Je vous sacrifierai une hostie de louanges.

    Le Sacrificium correspond à l’Offertoire de la messe romaine & ambrosienne, et au Sonus de la messe gallicane, dans tous les cas il s’agit d’une pièce chantée pendant le transfert des dons à l’offertoire. Le nom de Sacrificium employé par le rit mozarabe est en lui même significatif ; en effet, ces pièces de chant évoquent toujours l’idée du sacrifice par un choix judicieux de versets bibliques.

    Source : Cantoral mozarabe n° II de la Chapelle du Corpus Christi de la cathédrale de Tolède, folio XIV r° & v°.

    Chant mozarabe – Prælegendum de la messe d’un martyr ponfife

    Praelegendum Hec dicit Dominus

    Hæc dicit Dóminus: Ego tuli te et fui tecum, allelúia ; et interféci omnes inimícos tuos, allelúia.
    Fecíque tibi nomen, allelúia, allelúia.
    Voici ce que dit le Seigneur : Je t’ai choisi et fus avec toi, alléluia ; & j’ai tué tous tes ennemis, alléluia. Et j’ai rendu ton nom illustre, alléluia, alléluia. (2 Rois 7, 8-9)
    ℣. Beátus vir qui timet Dóminum, in mandátis eius cupit nimis. ℣. Heureux l’homme qui craint le Seigneur, qui a une grande affection pour ses commandements. (Psaume 111, 1)
    ℟. Fecíque tibi nomen, allelúia, allelúia. ℟. Et j’ai rendu ton nom illustre, alléluia, alléluia.
    ℣. Glória et honor Patri et Fílio et Spirítui Sancto in sæcula sæculórum. Amen. ℣. Gloire & honneur au Père & au Fils & au Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.
    ℟. Fecíque tibi nomen, allelúia, allelúia. ℟. Et j’ai rendu ton nom illustre, alléluia, alléluia.

    Le Prælendendum (Antiphona Ad Prælegendum) correspond à l’Introït de la messe romaine & à l’Ingressa de la messe ambrosienne. Les livres du cardinal Cisneros lui donnent le nom d’Officium, comme au rit dominicain, chartreux & carme, il s’agit là d’une contamination médiévale avec les usages romano-francs. Le terme de Prælegendum est en effet plus ancien & était également celui qu’employait l’ancien rit des Gaules pour désigner la pièce que chantent les chantres pendant l’entrée du clergé.

    Source : Cantoral mozarabe n° II de la Chapelle du Corpus Christi de la cathédrale de Tolède, folio XII r° & v°.

    Le rit mozarabe (1ère partie) : esquisse d’une histoire

    Miniature mozarabe illustrant Apocalypse 7, 2-3. Beato de San Miguel de La Escalada, Pierpont Morgan Library, New York, Ms. 644, f.° 115v.La liturgie mozarabe est l’ancienne liturgie de l’Espagne, pratiquée depuis l’origine du christianisme en ce pays. Cette antique liturgie fut codifiée par les conciles et les Pères de cette Eglise dès le IVème siècle et connu son âge d’or au VIIème siècle sous le royaume des Wisigoths ; tâchant de survivre sous le joug musulman, elle finit par quasiment disparaître d’Espagne au profit de la liturgie romaine, sur laquelle les souverains catholiques s’appuyèrent lors de la Reconquête.

    Mozarabe, un nom contestable

    Il semblerait que l’étymologie du terme mozarabe demeure quelque peu incertaine. Elle dérive probablement de l’arabe musta ra’b qui signifie littéralement arabisé. Ce terme de mozarabe a, de fait, été employé pour désigner la population chrétienne qui vivait en Espagne sous la domination musulmane, et par extension la liturgie qu’elle pratiquait.

    Appliqué à la liturgie, le terme mozarabe est cependant d’une justesse contestable. En effet, l’origine et l’organisation de cette liturgie sont antérieures à l’invasion musulmane (qui a plutôt contribué à la figer). D’autre part, elle continua d’être employée par les chrétiens espagnols dans les zones septentrionales de l’Espagne non soumises au califat de Cordoue. Enfin, le terme laisserait entendre que la liturgie des chrétiens d’Espagne aurait subi une arabisation, ce qui ne fut aucunement le cas (précisons que ce rit fut toujours célébré en latin jusqu’à une période très récente).

    Aussi a-t-on proposé d’autres qualificatifs pour se substituer à celui de mozarabe : rit gothiquewisigothique ou gotho-hispanique, liturgie isidorienne, liturgie de Tolède. Le plus exact et adapté serait sans doute tout simplement liturgie ou rit hispanique.

    Cependant, puisqu’un usage pluri-séculaire a consacré le terme de mozarabe et que les autres qualificatifs avancés ne sont pas non plus exempts d’imprécisions, nous continuerons à désigner – avec la grande majorité des auteurs – l’antique rit en usage depuis les premiers temps du christianisme en Espagne sous le nom de rit mozarabe.

    Quelques jalons historiques sur les origines du rit mozarabe

    Miniature mozarabe représentant un concile de TolèdeS’il n’existe pas de témoins directs des livres liturgiques hispaniques dans les premiers siècles chrétiens, on parvient toutefois à reconstituer de nombreux aspects de la vie liturgique des premiers chrétiens espagnols grâce aux actes des martyrs, aux écrits des Pères mais surtout aux nombreux conciles qui animèrent cette Eglise, depuis le Concile d’Elvire réuni dès l’an 305 (soit 20 ans avant le premier concile œcuménique de Nicée). Ces textes donnent avant tout une idée de la structuration hiérarchique de la communauté chrétienne (les lecteurs sont cités dès le milieu du IIIème siècle, les sous-diacres au Concile d’Elvire de 305, les exorcistes à Saragosse en 314). Il est intéressant de noter que le premier concile de Braga de 563 oblige quiconque veut être ordonné prêtre à recevoir au préalable les ordres de lecteur, sous-diacre & diacre et de les avoir exercé au moins un an. Le même concile indique les vêtements liturgiques portés par les différents ordres. Le Ier concile de Tolède tenu l’an 400 indique que tout le clergé doit chanter l’office tous les jours. Le concile de Tarragone de 516 décrit l’organisation de l’office quotidien de matines & de vêpres dans les petites paroisses rurales et insiste sur la présence de tous les clercs pour chanter les Ières vêpres du dimanche (le samedi soir) afin que tous puissent prendre part à la célébration de la liturgie dominicale le lendemain. Nous verrons lorsque nous décrirons ultérieurement l’office divin mozarabe que cette structure quotidienne (et archaïsante) de deux offices par jour – un office du matin et un office du soir – a été préservée.

    Le fond de la liturgie hispano-mozarabe est indéniablement latin : ce rit partage un patrimoine commun avec les autres liturgies latines : italiques (Rome, Aquilée, Milan), africaine, gallicane, celtique. De nombreux points communs la rapprochent plus précisément de l’ancien rit des Gaules. On note aussi la présence de nombreux éléments byzantins. Ceux-ci à mon avis durent être reçus et assimilés lors de la reconquête d’une partie de l’Espagne (la Bétique) par les troupes de l’empereur saint Justinien Ier (qui régna de 527 à 565). Ce règne – marqué par une politique religieuse ferme et de grands travaux, dont Sainte-Sophie de Constantinople demeure l’achèvement le plus connu – vit aussi le déploiement des premiers fastes liturgiques byzantins.

    Saint Braulion de Saragosse et saint Isidore de SévilleQuoi qu’il en soit des relations qu’entretint le rit mozarabe avec les autres familles liturgiques, cette liturgie forme un ensemble cohérent qui présente des caractères nationaux bien marqués. Outre les 18 conciles de Tolède qui s’échelonnèrent de 400 à 702, ce sont surtout les Pères espagnols des VIème et VIIème siècle qui contribuèrent à lui donner son organisation, et surtout sa physionomie propre. Saint Léandre de Séville, saint Isidore de Séville, saint Julien de Tolède, saint Ildefonse de Tolède jouèrent pour ce rit le même rôle que les papes saint Damase, saint Léon le Grand, saint Gélase ou saint Grégoire le Grand pour le rit romain. Sous le règne des Wisigoths qu’ils avaient converti à la foi catholique, ces Pères organisèrent les offices, établirent et rédigèrent les textes euchologiques, instituèrent le chant liturgique, & uniformisèrent les usages pour toute l’Espagne. Cet œuvre combinée des grands docteurs espagnols produisit une des liturgies les plus originales qui soit.

    Après l’invasion musulmane

    Vue de la vieille ville de Tolède : la cathédrale et l'AlcazarLe roi Rodrigue tombé sous le cimeterre, Tolède – la capitale de l’Espagne chrétienne – fut conquise en 714. Néanmoins, les musulmans laissèrent aux chrétiens devenus dhimmis une certaine liberté de culte. Il ne leur était pas permis de construire de nouvelles églises, un certain nombre fut transformé en mosquées, tout prosélytisme était interdit, mais l’exercice du culte catholique put se continuer et les chrétiens parviennent à maintenir la hiérarchie ecclésiastique et les principales charges épiscopales d’avant l’invasion : trois sièges métropolitains (Tolède, Séville et Mérida), ainsi que 18 sièges épiscopaux purent continuer d’exister. Pendant près de 4 siècles, les mozarabes furent coupés du reste de la chrétienté, aussi leur liturgie de même que leurs arts se figèrent-ils et cessèrent d’évoluer. Cela expliquera, comme nous le verrons dans un article ultérieur, que ce rit ait pu conservé de nombreux archaïsmes liturgiques.

    La compétition avec le rit romain

    Notons que la liturgie romaine s’était curieusement déjà implantée dans le diocèse de Braga dès 563. Il semble bien que c’était la première fois que le rit de Rome s’acclimatait ailleurs que dans la Ville éternelle. Cette greffe a donné l’actuel rit de Braga (il ne serait plus de nos jours que par un seul prêtre), qui est de fait un rit romain ayant conservé nombre d’éléments anciens disparus entre temps à Rome.

    Cloître de l'Abbaye bénédictine de SilosPlus tard, lors de l’invasion islamique, les chrétiens du Nord de la Péninsule résistèrent aux musulmans de Cordoue et furent dans un premier temps soutenus par les Carolingiens. Ce soutien politique d’Outre-Pyrénées fut épaulé par le soutien spirituel du monachisme clunisien qui amena avec lui dans le Nord de l’Espagne non seulement la règle de saint Benoît, mais également le rit romain tel qu’il était pratiqué dans l’Empire franc.  La mise en place du grand pèlerinage de saint Jacques de Compostelle va entraîner sur les routes du Nord de la péninsule les fidèles venu de tout le reste de l’Europe, qui pratiquaient le rit romain. La reconquête catholique vers le Sud va de ce fait amener avec elle le monachisme bénédictin et l’ordo romanus.

    Un jugement par le feu

    Dès le XIème siècle, les royaumes de Navarre et d’Aragon avaient définitivement abandonné la liturgie mozarabe pour la romaine, en dépit des efforts de saint Veremond, (1020 † 1092), abbé du monastère d’Irache, auprès du Saint-Siège. La Castille et le Léon restaient encore largement mozarabes.

    Le roi Alphonse VI  de Léon & Castille (1040 † 1109) – surnommé le Brave – fut une figure déterminante de la Reconquête chrétienne. Conseillé par son épouse la reine Agnès de France et les moines clunisiens, il cherchait à introduire le rit romain partout dans ses états à la place des usages mozarabes. Déjà le problème liturgique s’était posé avec acuité à Alphonse VI dès mars 1475 à Ovideo où les deux rits étaient en concurrence lors de l’ouverture des reliques de l’Arche sainte. Le roi avait exhorté ceux qui étaient présent à redoubler leurs prières pour résoudre la controverse liturgique. Il semblerait qu’en 1076, Alphonse VI avait pris la décision d’abolir le rit mozarabe sur ses terres, mais voyant la réelle affection de son peuple pour celle-ci, il retarda l’acte formel de la suppression. Le 9 avril 1077, qui était dimanche des Rameaux, on décida de régler l’épineuse question liturgique au moyen d’un duel entre deux chevaliers qui eut lieu à Burgos. Le champion du rit mozarabe en sortit vainqueur. Malgré tout, le roi promulga en 1080 l’abandon dans ses états du rit mozarabe pour le rit romain.

    Jugement par le feu des livres mozarabe et romainEn 1085, Tolède fut reconquise et libérée par Alphonse VI. Les Tolédans protestèrent alors de leur fidélité à l’antique liturgie de saint Isidore et de saint Julien, refusant l’introduction de la nouvelle liturgie romaine dans la cité du primat d’Espagne. La Chronique de Najera rapporte le jugement par le feu qui eut alors lieu. On jeta dans un feu un missel romain et un missel mozarabe, celui qui brûlerait serait condamné à disparaître de Tolède. Le mozarabe resta dans le feu mais ne se consuma pas, le romain bondit hors de celui-ci, aussi sans se consumer. Le signe fut interprété comme une réponse de Dieu pour que les deux rits puissent cohabiter. La population mozarabe put continuer à célébrer l’antique liturgie dans les six paroisses de Tolède dont elle avait déjà la jouissance sous le joug musulman : Saint-Just, Saint-Luc, Sainte-Eulalie, Saint-Marc, Saint-Torcat & Saint-Sébastien.

    En dehors de Tolède cependant, le rit disparut à peu près partout dans les territoires progressivement reconquis. Ainsi Cordoue avait eu la possibilité de continuer le rit mozarabe, mais celui-ci s’y éteignit une cinquantaine d’années seulement après sa reconquête opérée en 1236 par saint Ferdinand de Castille.

    En dehors des six paroisses de Tolèdes, quelques très rares endroit maintinrent la célébration du rit, le plus notable étant la basilique de Saint-Isidore de León, qui était nécropole royale.

    Avec l’implantation en Espagne du rit romain disparut aussi l’ère hispanique, qui avait été établie par l’évêque Idace (388 † 470) et qui avait la particularité d’avoir 38 ans de plus que notre ère commune, élaborée par Denys le Petit.

    La restauration du Cardinal Cisneros

    Portrait du cardinal Cisneros dans la salle du chapitre de la cathédrale de TolèdeFrancisco Jiménez, cardinal de Cisneros (1436 † 1517) est une figure majeure et attachante de la Renaissance espagnole. Austère et ascétique franciscain, il fut choisi pour confesseur par Isabelle la Catholique qui le promut archevêque de Tolède et primat d’Espagne, honneur qu’il refusa et il fallut l’intervention insistante du Pape pour qu’il l’accepte au bout de quelques mois. Le cardinal Cisneros devint par la suite un homme politique de premier plan : il assura à plusieurs reprise la régence de la Castille et affermit le trône du jeune Charles Quint. Il conduisit à ses frais une expédition militaire en Afrique du Nord et conquis Oran, Bougie et Tripoli. Hélas, le roi Ferdinand d’Aragon préféra se consacrer aux guerres d’Italie, plutôt qu’à une conquête de grande ampleur de l’Afrique du Nord, qu’appelait de ses vœux Cisneros.

    A la tête du diocèse de Tolède, le cardinal Cisneros s’inquiéta de la décadence des traditions mozarabes dans sa ville. Chaque paroisse mozarabe célébrait la messe & les offices de manières divergentes, et la tradition orale qui seule soutenait le chant était en train de se perdre.

    Cathédrale de Tolède : la Chapelle Mozarabe de Corpus Christi se trouve sous la coupole de droiteCisneros commença par fonder en 1495 dans sa cathédrale la Chapelle du Corpus Christi ou Chapelle mozarabe. Recevant l’appui de la reine Isabelle la Catholique, la Chapelle mozarabe se vit dotée de revenus importants afin de subvenir au nécessaire des 13 prêtres chanoines devant y assurer perpétuellement le chant quotidien de la messe et de l’office mozarabes.

    Le cardinal – en grand érudit qu’il était – fit également réunir une grande quantité de manuscrits mozarabes en provenance de tout le royaume. Se fondant sur l’étude de ces manuscrit, il fit imprimer pour la première fois le missel (1500) et le bréviaire (1502) mozarabes. Le rit mozarabe, ainsi fixé par l’imprimerie, était sauvé. Ce rit intégra toutefois à cette occasion quelques éléments venus du rit romain.

    Pour l’usage de la chapelle mozarabe, Cisneros fit aussi réaliser 4 livres de chœur manuscrits contenant tout le chant pour la messe & l’office, recueillant les traditions orales des paroisses mozarabes de Tolède : c’était la première fois (à une exception près sur laquelle nous reviendront) que le chant mozarabe était noté en notation carrée sur une portée. Le chant subit néanmoins quelques aménagements que nous examinerons dans un prochain article.

    Le rit mozarabe restauré par Cisneros fut pleinement reconnu dans l’Eglise. Les fidèles qui le suivaient avaient des droits particuliers et formait une communauté canonique, à la fois civile et liturgique. On devenait mozarabe (et on le devient toujours ! il y a actuellement en Espagne 2000 fidèles relevant canoniquement du rit mozarabe) par la naissance de parents mozarabes et le baptême dans ce rit, ou par mariage. Le pape Jules III (1550-1555) accorda aux Mozarabes de Tolède de ne relever que de l’une de leurs six paroisses et d’y payer exclusivement les dîmes, en quelqu’endroit qu’ils habitassent dans toute l’Espagne. On découvre ainsi historiquement établi le principe de la paroisse personnelle, non territoriale (cf. le canon 518 du nouveau Code de droit canonique de 1983).

    Francisco Antonio, cardinal de Lorenzana, archevêque de Tolède, primat d'EspagneAu XVIIIème siècle, l’épuisement des livres imprimés sous Cisneros appela une nouvelle édition entreprise avec beaucoup de soin par le cardinal Francisco Antonio de Lorenzana y Butrón. Lorenzana n’introduisit aucune modification aux livres mozarabes imprimés par son prédécesseur Cisneros.

    La réforme du cardinal González Martín

    La réforme liturgique post-conciliaire du pape Paul VI eut également des répercussions dans toutes les liturgies occidentales : soit qu’elles furent purement & simplement abandonnées (ce fut le cas par exemple du vénérable rit lyonnais ou du rit carme dit du Saint-Sépulchre) soit qu’elles durent subir une réforme (celle du rit ambrosien fut ainsi opérée sur des bases de travail tout à fait contestables).  Le rit mozarabe n’échappa pas à ce mouvement, mais, comme cette réforme fut l’une des dernières engagées, elle fut plutôt très bien conduite.

    arcelo González Martín, archevêque de Tolède, primat d'EspagneCe travail fut réalisé sur ordre du cardinal de Tolède, Marcelo González Martín, et dura plus de neuf ans. Contrairement aux réformes liturgiques engagées ailleurs, celle-ci s’attachât à restaurer les textes antiques des manuscrits qui n’avaient pas été retenus par Cisneros, en éliminant d’autre part les éléments de romanisation introduits au XVIème siècle, et ceci sans faire entrer d’innovations malheureuses et intellectualisantes.

    Néanmoins, on pourra s’interroger sur la nécessité de supprimer les usages romains qui avaient été introduits en petit nombre par le cardinal Cisneros : ne constituaient-ils pas un développement organique naturel, permettant en quelque sorte de rattrapper les “retards” qu’avait pris le rit mozarabe sur ses voisins romano-francs, lesquels avaient pu explorer à l’époque carolingienne des développements positifs. On songe ici aux prières secrètes dites d’apologies qui renforcent la préparation spirituelle & la piété des célébrants mais ne concernent pas les fidèles : apparues d’abord dès le Vème siècle en milieu syriaque, pratiquées par les autres rites orientaux, elles connurent une grande extension dans les liturgies carolingiennes et post carolingiennes : prières de préparation avant la messe et d’habillement, prière au bas de l’autel, prières de l’offertoire, prières avant et après la communion, dernier évangile, prières après la messe. Il est vrai que la réforme bugninienne s’était acharnée à faire disparaître tous ces éléments dans le nouveau missel de Paul VI. Une messe de semaine dans le rit mozarabe réformé débarrassé des éléments romains traditionnels commence ex abrupto par les lectures, après un simple Dominus sit semper vobiscum.

    En 1992, le premier volume du Missel Hispano-Mozarabe fut publié, fruit de ce long travail de recherche et de restauration des anciens rites. Un travail de restauration musicale a été également parallèlement tenté.

    De plus, pour assurer le développement de ce rit réformé, le pape Jean-Paul II a étendu la permission d’utilisation de la liturgie mozarabe et de son chant à tous les lieux d’Espagne qui le demanderaient. Des chapelles mozarabes se sont alors instituées dans les cathédrales de Cordoue et de Salamanque, sur le modèle de celle de Tolède. Des messes mozarabes sont désormais célébrées régulièrement à Madrid, à Séville et dans différentes villes d’Espagne. Si la chapelle mozarabe de Tolède maintient une célébration en latin, l’espagnol tend aussi à s’imposer par ailleurs, avec un nouveau répertoire de chants qui ne s’inscrivent plus dans la tradition du rit. L’ars celebrendi actuel parait de même très influencé par les usages que l’on observe en général pour le missel de Paul VI (perte de la célébration ad Orientem).

    On peut espérer que le nouveau mouvement liturgique qui se dessine globalement dans l’Eglise profite à terme à l’antique rit de l’Espagne.